Le Deuil : Entre Perte, Nostalgie et Réapprentissage de la Vie
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Le deuil est un chemin intime et complexe, loin de tout processus linéaire. Il se vit par vagues : certains jours, la douleur submerge, d’autres, un apaisement fragile se laisse ressentir. Christophe André, dans Consolation, parle du deuil comme d’une **“blessure de l’âme”**¹. Il ne disparaît jamais totalement, mais se transforme avec le temps en une cicatrice avec laquelle nous apprenons à vivre, fragile et sensible, mais porteuse de mémoire et d’amour.
La littérature éclaire ce chemin avec une clarté bouleversante. Victor Hugo évoque la nostalgie comme lien invisible qui unit les vivants aux absents. Annie Ernaux, dans Les Années, montre comment le passé reste vivant en nous, évoluant au fil du temps et des souvenirs. François Cheng, quant à lui, invite à percevoir la mort non pas comme un vide, mais comme un espace où l’amour et la mémoire continuent de vivre².
La perte d’un être cher fait surgir un flot d’émotions intenses : colère, immense tristesse, nostalgie, culpabilité. La colère peut naître face à l’injustice de la perte, la tristesse se fait lourde comme un voile, et la culpabilité parfois surgit lorsque l’on ose retrouver des moments de joie. Ces émotions ne sont pas des obstacles, mais des messagers qui signalent l’importance de ce lien perdu et la nécessité de lui faire une place dans notre vie.
Avec le temps, la vie reprend son cours, et certains proches s’éloignent doucement. Ils ne cherchent pas à oublier, mais n’imaginent pas que, pour celui qui demeure dans la perte, la réalité de l’absence s’inscrit encore profondément. Cette prise de conscience est particulièrement intense lors de moments symboliques, comme le premier anniversaire de la disparition, où la nostalgie et la tristesse se font parfois insupportables.
Quelques pistes peuvent aider à cheminer :
Écrire ou parler de l’absent : lettres, journaux, souvenirs partagés permettent de déposer la douleur et d’entretenir la mémoire de la personne disparue.
Perpétuer ses valeurs : s’engager dans un projet, un geste symbolique ou une action qui honore la personne, transforme la tristesse en énergie constructive.
Se faire accompagner : un thérapeute ou un groupe de parole, comme ceux évoqués par Christophe Fauré³, permet de mettre des mots sur des émotions parfois trop lourdes à porter seul.
Accepter les vagues émotionnelles : reconnaître que la nostalgie, la colère ou la tristesse peuvent revenir, et qu’il est normal de ressentir ces émotions sur la durée.
Se réautoriser à la joie : retrouver des moments heureux n’efface pas l’absent, mais témoigne de la capacité du cœur humain à continuer d’aimer et de vivre.
Le deuil, malgré sa douleur, est aussi un chemin vers la résilience et la mémoire. Il ne s’agit pas d’oublier, mais d’apprendre à vivre avec l’absence, à créer une nouvelle place pour ceux que nous aimons dans notre quotidien, et à transformer la perte en un fil qui relie toujours le passé et le présent.
Bibliothérapie et ressources
1. Christophe André, Consolation : Sur le deuil et la mémoire des absents, 2020.
2. François Cheng, Le Dit de Tianyi, 2016 – réflexion sur la mort et la permanence de l’amour.
3. Christophe Fauré, La Mort d’un proche, 2018 – guide psychologique et pratique pour traverser le deuil.
Demain, dès l’aube
Victor HugoDemain, dès l’aube, à l’heure où blanchit la campagne,
Je partirai. Vois-tu, je sais que tu m’attends.
J’irai par la forêt, j’irai par la montagne.
Je ne puis demeurer loin de toi plus longtemps.Je marcherai les yeux fixés sur mes pensées,
Sans rien voir au dehors, sans entendre aucun bruit,
Seul, inconnu, le dos courbé, les mains croisées,
Triste, et le jour pour moi sera comme la nuit.Je ne regarderai ni l’or du soir qui tombe,
Ni les voiles au loin descendant vers Harfleur,
Et quand j’arriverai, je mettrai sur ta tombe
Un bouquet de houx vert et de bruyère en fleur.Référence : Victor Hugo, Les Contemplations, 1856, domaine public.
Emily Dickinson – After Great Pain, a Formal Feeling Comes (1862)
Original (anglais)
After great pain, a formal feeling comes –
The nerves sit ceremonious, like tombs –
The stiff Heart questions was it He, that bore,
And Yesterday, or Centuries before?The Feet, mechanical, go round –
A Wooden way
Of Ground, or Air, or Ought –
Regardless grown,
A Quartz contentment, like a stone –This is the Hour of Lead –
Remembered, if outlived,
As Freezing persons, recollect the Snow –
First – Chill – then Stupor – then the letting go –
Rainer Maria Rilke – Élégies de Duino (extrait, traduit)
La vie nous prend ce que nous aimons,
et pourtant elle nous laisse la mémoire,
ce murmure discret des jours passés,
où leur présence illuminait nos chemins.Même dans l’absence, ils continuent de vivre
dans le souffle des heures, dans le chant du vent,
dans la lumière qui caresse les murs familiers.Il n’y a pas d’oubli complet,
mais une transformation :
la douleur se fait douceur,
la perte devient fil de mémoire,
et l’amour persiste dans chaque respiration.
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