Frères et sœurs : subit-on vraiment sa place dans la fratrie ?
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On dit souvent que la place dans la fratrie nous suit toute la vie : l’aîné serait responsable, le cadet plus sociable, le benjamin rêveur ou gâté. Ces images, profondément ancrées, ont un parfum de vérité… mais elles enferment aussi dans des cases. La question est donc : subit-on vraiment sa place, ou peut-on la choisir ?
Pour y répondre, nous allons explorer trois dimensions fondamentales : la place, le pardon et l’altérité. Ces fils rouges traversent l’enfance, façonnent l’âge adulte, et influencent même la manière dont nous éduquons nos propres enfants.
Dès l’enfance, chaque enfant occupe une place qui combine rang et rôle implicite. Au-delà du rang biologique — aîné, cadet, benjamin — il endosse des fonctions sociales et des traits de personnalité : celui qui protège, celui qui apaise, celui qui amuse, celui qui prend des initiatives, ou celui qui se fait discret. Ces rôles façonnent l’identité et influencent la confiance en soi, mais ils ne sont pas immuables.
Une étude norvégienne (MoBa cohort, plus de 300 000 participants) a montré que les aînés réussissent en moyenne mieux à l’école que les cadets, principalement pour des raisons environnementales : attention parentale, distribution des responsabilités, valorisation de certains comportements. Les différences ne sont pas génétiques ni prénatales, mais sociales et relationnelles.
Cette place héritée n’est pas un destin. Avec le temps, chacun peut redéfinir son rôle : devenir un frère ou une sœur qui choisit comment il agit, communique et soutient ses pairs. Par exemple, un cadet qui a longtemps été discret peut décider de prendre plus de place dans les activités familiales, tandis qu’un aîné habitué à la responsabilité peut s’autoriser à se détendre et à laisser d’autres initiatives aux plus jeunes. C’est cette liberté qui transforme le rôle subi en rôle choisi, et qui nourrit des relations fraternelles plus authentiques.
Les parents peuvent intervenir activement pour réguler les relations fraternelles : répartir équitablement l’attention, favoriser le dialogue, aider à résoudre les conflits. Cette médiation permet de :
prévenir les tensions durables,
enseigner le respect et la tolérance des différences,
encourager le pardon et la négociation.
Comme le souligne Caroline Goldman, un encadrement parental attentif transforme la fratrie en un véritable terrain d’apprentissage relationnel plutôt qu’en champ de rivalité.
La fratrie est fertile en frictions : rivalités, jalousies, injustices. Laisser ces tensions sans résolution peut engendrer des blessures persistantes.
Le pardon, compris comme capacité à réparer ou donner un autre sens à un événement, permet de :
reconnaître sa part de responsabilité,
sortir de rôles figés ou d’anciennes rancunes,
renouer un lien choisi, fondé sur l’écoute et la reconnaissance de l’autre.
En pardonnant ou en acceptant le pardon, chacun rencontre l’autre dans son altérité, accepte sa différence et construit une relation fraternelle plus libre et équilibrée.
Être frère ou sœur oblige à reconnaître l’autre dans sa singularité : différents besoins, désirs, fragilités. L’altérité n’est pas seulement tolérance, c’est accueillir la différence comme une richesse.
Cet apprentissage est fondamental pour nos vies d’adultes : dans les amitiés, le couple, le travail, et dans la façon dont nous élevons nos enfants. La manière dont nous avons appris à composer avec nos frères et sœurs influence ce que nous transmettons à nos enfants.
Oui, la place dans la fratrie influence certains parcours scolaires et éducatifs. Mais les effets sont modestes et modulables. Selon Havari & Savegnago (2022, SHARE data), « le rang de naissance laisse une empreinte, mais c’est l’action éducative et relationnelle qui la modèle ».
Nous recevons une place, mais nous pouvons choisir de la transformer. L’enjeu est de passer du rôle subi au rôle choisi, en intégrant la reconnaissance de l’autre et la responsabilité personnelle.
Quelle place vous a été attribuée dans votre fratrie ? La reconnaissez-vous encore aujourd’hui ?
Avez-vous déjà demandé pardon à un frère ou une sœur, ou accepté le leur ?
Si vous êtes parent, reproduisez-vous, consciemment ou non, les dynamiques de votre propre fratrie ?
Ces questions touchent à la manière dont nous construisons nos liens et à la liberté que nous nous donnons pour les transformer.
Ressources pour aller plus loin
Podcast Caroline Goldman : « Les relations entre frères et sœurs » – rôle des parents dans la régulation.
Havari, E. & Savegnago, M. (2022). The intergenerational effects of birth order on education. Journal of Population Economics. Springer
Black, S.E., Devereux, P.J., & Salvanes, K.G. (2005). The More the Merrier? The Effect of Family Size and Birth Order on Children’s Education. Quarterly Journal of Economics.
Françoise Dolto, La cause des enfants
Serge Tisseron, Secrets de famille, mode d’emploi
- Romans à explorer : Orgueil et préjugés (Jane Austen, les sœurs Bennet), Les Frères Karamazov (Dostoïevski), Les Quatre filles du docteur March (Louisa May Alcott).
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