Régulation émotionnelle : accueillir, contenir, transformer
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Les émotions de l’enfant surgissent comme des vagues : puissantes, imprévisibles, parfois démesurées. Longtemps, elles furent niées, réprimées, étouffées. Aujourd’hui, nous avons fait un pas immense : nous les reconnaissons, nous les nommons, nous les légitimons. Dire à un enfant qu’il a le droit d’être triste, en colère ou jaloux, c’est déjà lui offrir un espace de liberté intérieure. C’est un progrès majeur dans l’éducation, une conquête de ces dernières décennies.
Mais dans cet élan généreux, un risque se dessine : confondre l’émotion et l’enfant lui-même. Comme si « je suis en colère » devenait « je suis la colère ». Comme si l’émotion, au lieu d’être un signal passager, devenait une identité. L’enfant s’y identifie, s’y enferme parfois, et oublie qu’elle n’est qu’un état transitoire, traversant comme un orage.
C’est là qu’intervient la notion de contenance, chère à Winnicott : l’adulte, par sa présence solide et bienveillante, « tient » l’émotion de l’enfant. Il lui dit en acte : tu peux ressentir tout cela, je ne te lâche pas, et je t’aide à traverser. Contenir n’est pas réprimer : c’est accueillir sans se laisser submerger, c’est poser des limites protectrices, c’est être ce rivage ferme contre lequel la vague peut se briser sans danger.
Ce rôle est exigeant. Il demande parfois de poser une limite claire au risque d’être moins aimé sur le moment. Or, pour beaucoup de parents aujourd’hui, confrontés à mille injonctions contradictoires, cette position est difficile : comment être à la fois aimant et ferme, bienveillant et structurant ?
La régulation émotionnelle ne s’arrête pas à l’apaisement. Elle ouvre aussi un chemin vers l’autre. Donner à l’enfant l’occasion de s’excuser et de réparer après une crise, c’est lui offrir une expérience précieuse : celle de l’empathie. Il découvre que ses gestes et ses mots ont un impact, qu’il peut abîmer le lien mais aussi le restaurer. Cette possibilité de réparation inscrit la responsabilité au cœur de la vie affective, et fait grandir l’enfant en humanité.
Les émotions ne sont pas seulement universelles. Elles sont aussi marquées par le temps et la culture. Au XIXᵉ siècle, l’hystérie décrite par Charcot, ou l’« ataxie » diagnostiquée dans les salons médicaux, traduisaient des souffrances que notre époque exprime autrement. Le « spleen » baudelairien résonnait avec l’ennui d’une génération romantique et industrieuse. Aujourd’hui, ce sont plutôt l’anxiété ou le burn-out qui donnent forme à la détresse.
Chaque société façonne ainsi les émotions qu’elle autorise, valorise ou réprime. Certaines cultures prônent la retenue (le Japon, la Corée), d’autres encouragent l’expression intense (cultures méditerranéennes, Amérique latine). Même au sein d’une même société, l’histoire émotionnelle des enfants diffère selon leur genre, leur milieu, leur époque.
👉 Comprendre cela, c’est se rappeler que l’émotion n’est jamais une essence immuable, mais un phénomène vivant, situé, culturel autant que psychologique.
La recherche en psychologie du développement a décrit différents styles parentaux. Diana Baumrind a ainsi distingué l’autoritarisme (fermeté sans chaleur), le laxisme (chaleur sans cadre) et l’approche dite authoritative, qui conjugue les deux dimensions : fermeté et chaleur. Ce modèle, confirmé par de nombreuses études, montre que les enfants élevés dans ce climat grandissent avec une meilleure estime de soi, une plus grande sécurité affective et des compétences sociales plus solides.
Être un parent « authoritatif », c’est précisément cela : reconnaître et valider les émotions, tout en gardant un cadre ferme et contenant, et en accompagnant l’enfant vers la réparation et l’empathie.
La régulation émotionnelle se situe ainsi au croisement du développement psychologique, affectif et culturel. Elle n’est ni complaisance ni rigidité, mais un chemin d’équilibre : accueillir les émotions comme des messagères, les contenir pour ne pas s’y identifier, et les transformer en occasion d’apprendre, de grandir et d’aimer.
C’est dans cette tension féconde entre liberté et cadre, expression et contenance, histoire et culture, que l’enfant découvre peu à peu qu’il n’est pas ses émotions, mais qu’il peut les traverser, les apprivoiser, et s’ouvrir à la rencontre de l’autre.
Références bibliographiques
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